miércoles, 2 de marzo de 2011

Seis poemas de Louis Calaferte


Rues maintes fois parcourues...

Rues maintes fois parcourues depuis tant d'années.
Les changements y sont lents.
Lente y est la vie.
Certaines physionomies connues à force d'être rencontrées soudainement disparaissent.
Les vitrines des boutiques se renouvellent tout en se ressemblant.
Il y a des magasins dont les propriétaires ne se montrent jamais.
Vieux magasins.
D'autres qui incitent à la dépense.
Il y a un chien noir aux oreilles cassées assis devant une entrée.
Un vieux chien qui ne se laisse pas approcher.
De vieilles personnes marchent lentement.
Avec de vieux vêtements aux couleurs usées.
Les trottoirs sont étroits.
Peut-être ces rues ne mènent-elles nulle part.
De vieilles personnes qui rentrent chez elles.
Vient une heure où les perspectives raccourcies se font désertes.
Heure de cette atroce agonie qu'on appelle le crépuscule.

(Le monologue)


Calles muchas veces recorridas…

Calles muchas veces recorridas desde hace tantos años.
Allí son lentos los cambios.
Allí es lenta la vida.
Algunas fisonomías conocidas de tanto encontrarlas allí desaparecen de pronto.
Los escaparates de las tiendas se renuevan sin dejar de parecerse.
Hay algunas cuyos propietarios nunca se dejan ver.
Viejas tiendas.
Otras que incitan a gastar.
Hay un perro negro de orejas quebradas sentado delante de una entrada.
Un perro viejo que no deja que se le acerquen.
Personas mayores caminan lentamente.
Con viejas ropas de colores desvaídos.
Las aceras son estrechas.
Quizás estas calles no lleven a ninguna parte.
Personas mayores que vuelven a sus casas.
Llega la hora en que las perspectivas acortadas se quedan desiertas.
Hora de esa atroz agonía que llamamos crepúsculo.


Concrétion noire du café...

Concrétion noire du café dans la tasse.
Petite surface circulaire immobile.
Il faut que la vibration extérieure soit accentuée pour qu'elle se trouble.
Odeur forte.
Concentrée.
Liquide qui est puissance.
Odeur d'un brûlé noir.
Un vieil homme à casquette de cuir torréfiait son café devant chez lui.
La fumée fine s'échappait de l'appareil.
Restait en suspension dans l'air froid.
Enveloppante.
On pouvait songer à des forêts impénétrables.
Des encorbellements de lianes.
Des cris d'oiseaux inconnus.
Des grognements menaçants.
Des déplacements souples.
Invisibles.
Une chaleur pétrifiante.
Le petit appareil était cylindrique.
En fer.
Une minuscule porte à glissière sur le dessus.
Le feu de bois l'enrobait de flammes.
Le vieil homme restait assis pendant des heures.
Tournait lentement la manivelle du cylindre.
L'odeur âcre se propageait au loin sur le chemin des maisons.
Ensuite on l'oubliait.
Comme l'odeur du cimetière.
Cette aigrissure.
Le pourrissement des fleurs dans la fosse derrière le portail de l'entrée.
Odeur de femmes noires.
Sévères.
Lentes.
Tristes.
Eclatement du coup de cloche.
La terre rouge ou verte.
Un trou.
Parois grasses.
Luisantes.
Veines jaunâtres de la terre.
Comment s'imaginer qu'un jour son propre corps sera enseveli dans cette profondeur graisseuse.
Pourrir.
Rire.
Jouer.
Le cimetière est un endroit sale.
Café chaud du matin.
Les fenêtres sont ouvertes.
Dehors il fait bleu et nacré.
Les bols sont remplis.
Le pain en tranches.
Le beurre tendre sur la petite assiette rose.
Le lait se mélange avec des dessins de filaments.
Dans les bois il y a des airelles.
Des argenteries de poissons dans la rivière.
Le matin le grand couloir de la maison sent longtemps le café.
Un noir.
Un jus.
Des voyantes lisent l'avenir dans le marc de café.
Une grosse femme à demi soûle.
Les yeux humides.
Les seins énormes.
La tasse pivotant entre ses doigts aux ongles rongés.
Savoir à quand remonte l'usage du café ?
Trouver des ouvrages illustrés chez les bouquinistes.
Le café est-il un fruit ?
Forcément.
Les araignées ne sont pas des insectes.
Un sucre chimique se dissolvait dans la tasse de café et laissait apparaître une substance en forme d'araignée.
Farces et attrapes.
Tout le monde riait.
On changeait la tasse.
L'araignée noire flottait dans l'évier au milieu de la vaisselle.
Il fallait du courage pour oser la toucher du bout du doigt.
C'était flasque.
Que devenait-elle ensuite ?
Les araignées de réglisse aux pattes rouges.
Les filles qui hurlaient.
Le ciel était si clair.
La nuit ne tombait pas.
Les grands bavardaient entre eux dans le jardin.
Les voix n'étaient plus que bruissements.

(Le monologue)


Concreción negra del café...

Concreción negra del café en la taza.
Pequeña superficie circular inmóvil.
Es necesario que la vibración exterior se acentúe para que se perturbe.
Olor fuerte.
Concentrado.
Líquido que es potencia.
Negro olor a quemado.
Un viejo con gorra de cuero tostaba el café delante de su casa.
El humo tenue se escapaba del aparato.
Permanecía suspendido en el aire frío.
Envolvente.
Podía pensarse en bosques impenetrables.
Techos de lianas.
Gritos de pájaros desconocidos.
Gruñidos amenazantes.
Desplazamientos ágiles.
Invisibles.
Un calor petrificante.
El pequeño aparato era cilíndrico.
De hierro.
Con una minúscula tapa corrediza.
El fuego lo envolvía con sus llamas.
El viejo permanecía horas sentado.
Hacía girar lentamente la manivela del cilindro.
El olor acre se propagaba hasta muy lejos por el camino que llevaba a las casas.
Luego se lo olvidaba.
Como el olor del cementerio.
Esa acritud.
La putrefacción de las flores en la fosa detrás del portal de entrada.
Olor a mujeres negras.
Severas.
Lentas.
Tristes.
Estallido de la campanada.
La tierra roja o verde.
Un pozo.
Paredes fértiles.
Brillantes.
Venas amarillentas de la tierra.
Cómo imaginar que un día nuestro propio cuerpo estará enterrado en esta profundidad grasienta.
Pudrirse.
Reir.
Jugar.
El cementerio es un lugar sucio.
Café caliente de la mañana.
Las ventanas están abiertas.
Fuera todo está azul y nacarado.
Las tazas están llenas.
El pan en rebanadas.
La mantequilla blanda en el platito rosado.
La leche se mezcla con dibujos de filamentos.
Hay arándanos en los bosques.
Platería de peces en el río.
Por la mañana el gran corredor de la casa huele mucho tiempo a café.
Un café negro.
Un cafecito.
Hay adivinas que leen el porvenir en la borra del café.
Una mujer gorda medio borracha.
Los ojos húmedos.
Los pechos enormes.
La taza que gira entre sus dedos de uñas comidas.
¿Saber de cuándo data el uso del café?
Encontrar viejos libros ilustrados.
¿Es un fruto el café?
Forzosamente.
Las arañas no son insectos;
Un azúcar químico se disolvía en la taza de café y dejaba aparecer una substancia con forma de araña.
Un chasco.
Todos se reían.
Cambiaban la taza.
La araña negra flotaba en el fregadero entre la vajilla.
Hacía falta tener coraje para atreverse a tocarla con la punta del dedo.
Algo fofo.
¿En qué se transformaba después?
Las arañas de regaliz de patas rojas.
Las chicas que chillaban.
El cielo estaba tan claro.
La noche no caía.
Los grandes charlaban entre ellos en el jardín.
Las voces no eran ya sino murmullos.

Temps mort...

Temps mort.
Les corps se séparent.
Présence brusquement étrangère.
Répugnance à toucher.
A être touché.
Le rapprochement a creusé un vide hostile.
Excitation des nerfs.
Curiosité.
Audace.
Caresser.
Prendre un corps.
Echauffement des désirs.
Simulacre du meurtre.
Une haine lointaine.
Ne pas penser au possible dégoût.
Sexe noir.
Poils.
Maladive rosure.
Odeur intime.
Odeur forte.
Le pli de graisse.
Sueur.
Mots et halètements.
L'envie est déjà passée.
Accomplir le rituel.
La bouche ouverte.
Les dents.
La langue.
Salive.
Pointes des seins.
Cotonnade du ventre.
Sexe.
Poils.
Pénétrer.
Obtenir ce que seule obtient l'imagination.
Bourrelage de l'accouplement.
Humidités.
Sels.
Acides.
Corps harassés.
Ennemis.
Les draps chauds.
Prix de la chambre punaisé sur la porte.
Ternissure autour de la poignée.
Traces brunes.
Glace éraillée de l'armoire.
Le battant ferme mal.
Meuble vide.
Petite table de bois verni.
Meuble vide.
Les vêtements en désordre sur la moquette.
Chaussure béante.
Un soutien-gorge noir.
Une jupe claire.
Les vitres de la fenêtre sont sales.
Partir.
S'habiller.
Partir.
N'être plus cet incompréhensible accident.
Ramolli le sexe pend entre les cuisses.
Un après-midi d'enfance à la campagne.
Avec des fruits.
De gros raisins noirs.
A cheval sur des épaules d'homme.
Le corps glisse doucement du lit.
Vêtements épars ramassés en hâte.
Mouvement proche déjà si lointain.
Le sac à main.
La salle de bains.
Il faisait une chaleur éclatante.
Une petite fille riait.
L'eau dans le lavabo.
Enfiler un slip.
Des chaussettes.
Un pantalon.
Une chemise.
Le veston est sur le dos d'une chaise.
La petite fille blonde avait un prénom très doux.
Musical.
Un prénom blond.

(Le monologue)


Tiempo muerto...

Tiempo muerto.
Los cuerpos se separan.
Presencia bruscamente extraña.
Asco de tocar.
De ser tocado.
El acercamiento ha creado un vacío hostil.
Excitación nerviosa.
Curiosidad.
Audacia.
Acariciar.
Coger un cuerpo.
Fiebre del deseo.
Simulacro de asesinato.
Un odio lejano.
No pensar en el asco posible.
Sexo negro.
Pelos.
Enfermiza rosura.
Olor íntimo.
El pliegue de grasa.
Sudor.
Palabras y jadeos.
El deseo ya ha pasado.
Cumplir el ritual.
La boca abierta.
Los dientes.
La lengua.
Saliva.
Las puntas de los pechos.
Algodón del vientre.
Sexo.
Pelos.
Penetrar.
Conseguir lo sólo consigue la imaginación.
Tormento del acoplamiento.
Humedades.
Sales.
Ácidos.
Cuerpos extenuados.
Enemigos.
Las sábanas calientes.
El precio de la habitación clavado con una chinche en la puerta.
Manchas alrededor del picaporte.
Huellas marrones.
Espejo gastado del armario.
El batiente cierra mal.
Mueble vacío.
Mesita de madera barnizada.
Mueble vacío.
La ropa en desorden sobre la alfombra.
Zapato boquiabierto.
Un sostén negro.
Una falda de color claro.
Los vidrios de la ventana están sucios.
Irse.
Vestirse.
Irse.
Ya no ser este incomprensible accidente.
Reblandecido cuelga el sexo entre los muslos.
Una tarde de la infancia en el campo.
Con frutas.
Grandes uvas negras.
A horcajadas sobre hombros masculinos.
El cuerpo se desliza suavemente de la cama.
Ropa dispersa recogida de prisa.
Movimiento reciente ya tan lejano.
El bolso.
El cuarto de baño.
Hacía un calor deslumbrante.
Una niña reía.
El agua en el lavabo.
Ponerse un eslip.
Calcetines.
Un pantalón.
Una camisa.
La chaqueta está en el respaldo de una silla.
La niña rubia tenía un nombre muy dulce.
Musical.
Un nombre rubio.


Nancy...

Nancy
qui était si petite
si frêle entre mes bras
là-bas
dans la chambre aux saveurs des noirs embruns de mer

Nancy
avec ton regard vert
tes petits cheveux de chien fou
vaguement roux
et qui croyait encore aux choses interdites

Nancy
que ma mémoire emporte
et que je ne reverrai pas
le destin nous ferme ses portes

Tu étais de Dundee
n'est-ce pas

(Londoniennes)


Nancy...

Nancy
que era tan pequeña
tan quebradiza entre mis brazos
allá lejos
en el cuarto que sabía a obscuras brumas del mar

Nancy
con tu mirada verde
tus cabellos cortos de perro loco
un poco pelirrojo
y que creía aún en las cosas prohibidas

Nancy
que mi memoria arrastra
y que ya no veré más
el destino nos cierra sus puertas

Venías de Dundee
¿no es así?

C'est vrai qu'il pleut à Londres...

C'est vrai qu'il pleut à Londres
et que les ponts s'ennuient

Le ciel mourant et hypocondre
aux nuages noués de suie

A Londres il pleut à Londres
paillettes de la pluie

On voyait la ville se fondre
comme irréelle comme enfuie

Un peuple indécis correspondre
sous les dômes des parapluies

Nos ombres allaient se confondre
dans l'ombre grise de la pluie

C'est vrai qu'il pleut à Londres
et que je t'ai suivie

(Londoniennes)


Es cierto que llueve en Londres...

Es cierto que llueve en Londres
y que se aburren los puentes

Moribundo e hipocondríaco el cielo
con sus nubes atadas de hollín

En Londres cae la lluvia en Londres
lentejuelas de la lluvia

Veíamos la ciudad fundirse
como irreal como huidiza

Un pueblo impreciso comunicarse
bajo las cúpulas de los paraguas

Nuestras sombras iban a confundirse
en la sombra gris de la lluvia

Es cierto que llueve en Londres
y que yo te seguí
LOUIS CALAFERTE

Traducción de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán

(Traducciones publicadas por primera vez en EOM nº 13, julio-agosto de 2002)