domingo, 18 de septiembre de 2011

Borges y Francis Ponge



BORDS DE MER


La mer jusqu'à l'approche de ses limites est une chose sim­ple qui se répète flot par flot. Mais les choses les plus sim­ples dans la nature ne s'abordent pas sans y mettre beaucoup de formes, faire beaucoup de façons, les choses les plus profondes sans subir quelque amenuisement. C'est pourquoi l'homme, et par rancune aussi contre leur immensité qui l'assomme, se précipite aux bords ou à l'intersection des grandes choses pour les définir. Car la raison au sein de l'uniforme dangereusement ballotte et se raréfie: un esprit en mal de notions doit d'abord s'approvisionner d'apparences.

Tandis que l'air même tracassé soit par les variations de sa température ou par un tragique besoin d'influence et d'informations par lui-même sur chaque chose ne feuillette pourtant et corne que superficiellement le volumineux tome marin, l'autre élément plus stable qui nous supporte y plonge obliquement jusqu'à leur garde rocheuse de larges couteaux terreux qui séjournent dans l'épaisseur. Parfois à la rencontre d'un muscle énergique une lame ressort peu à peu: c'est ce qu'on appelle une plage.

Dépaysée à l'air, mais repoussée par les profondeurs quoique jusqu'à un certain point familiarisée avec elles, cette portion de l'étendue s'allonge entre les deux plus ou moins fauve et stérile, et ne supporte ordinairement qu'un trésor de débris inlassablement polis et ramassés par le destructeur.

Un concert élémentaire, par sa discrétion plus délicieux et sujet à réflexion, est accordé là depuis l'éternité pour personne: depuis sa formation par l'opération sur une platitude sans bornes de l'esprit d'insistance qui souffle parfois des deux, le flot venu de loin sans heurts et sans reproche enfin pour la première fois trouve a qui parler. Mais une seule et brève parole est confiée aux cailloux et aux coquillages, qui s'en montrent assez remués, et il expire en la proférant; et tous ceux qui le suivent expireront aussi en proférant la pareille, parfois par temps à peine un peu plus fort clamée. Chacun par-dessus l'autre parvenu à l'orchestre se hausse un peu le col, se découvre, et se nomme à qui il fut adressé. Mille homonymes seigneurs ainsi sont admis le même jour à la présentation par la mer prolixe et prolifique en offres labiales a chacun de ses bords.

Aussi bien sur votre forum, ô galets, n'est-ce pas, pour une harangue grossière, quelque paysan du Danube qui vient se faire entendre: mais le Danube lui-même, mêlé à tous les autres fleuves du monde après avoir perdu leur sens et leur prétention, et profondément réservés dans une désillusion amère seulement au goût de qui aurait à conscience d'en apprécier par absorption la qualité la plus secrète, la saveur.

C'est en effet après l'anarchie des fleuves à leur relâ­chement dans le profond et copieusement habité lieu com­mun de la matière liquide, que l'on a donné le nom de mer. Voilà pourquoi à ses propres bords celle-ci semblera toujours absente: profitant de l'éloignement réciproque qui leur interdit de communiquer entre eux sinon à travers elle ou par des grands détours, elle laisse sans doute croire à chacun d'eux qu'elle se dirige spécialement vers lui. En réalité, polie avec tout le monde, et plus que polie: capable pour chacun d'eux de tous les emportements, de toutes les convictions successives, elle garde au fond de sa cuvette à demeure son infinie possession de courants. Elle ne sort jamais de ses bornes qu'un peu, met elle-même un frein à la fureur de ses flots, et comme la méduse qu'elle abandonne aux pêcheurs pour image réduite ou échantillon d'elle-même, fait seulement une révérence extatique par tous ses bords.

Ainsi en est-il de l'antique robe de Neptune, cet amon­cellement pseudo-organique de voiles sur les trois quarts du monde uniment répandus. Ni par l'aveugle poignard des roches, ni par la plus creusante tempête tournant des paquets de feuilles à la fois, ni par l'œil attentif de l'homme employé avec peine et d'ailleurs sans contrôle dans un milieu interdit aux orifices débouchés des autres sens et qu'un bras plongé pour saisir trouble plus encore, ce livre au fond n 'a été lu.


FRANCIS PONGE (Le parti pris des choses)


ORILLAS DE MAR 

El mar hasta la cercanía de sus límites es una cosa sencilla que se repite ola por ola. Pero para llegar a las cosas más sencillas en la naturaleza es necesario emplear muchas for­mas, muchos modales; para las cosas más profundas sutilizarlas de alguna manera. Por eso, y también por ren­cor contra su inmensidad que lo abruma, el hombre se precipita a las orillas o a la intersección de las cosas gran­des para definirlas. Pues la razón en el seno de lo uniforme rebota peligrosamente y se enrarece: un espíritu nece­sitado de nociones debe ante todo hacer provisión de apariencias.

Mientras que el aire hasta cuando está atormentado por las variaciones de su temperatura o por una trágica necesidad de influencia y de informaciones directas sobre cada cosa sólo superficialmente hojea y dobla las puntas del voluminoso tomo marino, el otro elemento más estable que nos sostiene hunde en él oblicuamente hasta la empuñadura rocosa anchos cuchi­llos de tierra que se quedan inmóviles en su espesor. A veces encontrándose con un músculo enérgico una hoja vuelve a salir poco a poco: es lo que se llama una playa.

Desorientada al aire libre, pero rechazada por las pro­fundidades aunque hasta cierto punto tenga familiaridad con ellas, esta parte de la extensión se estira entre lo uno y lo otro más o menos leonada y estéril, y por lo común no sostiene más que un tesoro de desechos incansablemente alisados y recogidos por el destructor.

Un concierto elemental, por lo discreto más delicioso y digno de reflexión, se ha ajustado allí desde la eternidad para nadie: desde que se formó por operación sobre una chatura sin lími­tes del espíritu de insistencia que suele soplar de los cielos, la ola llegada de lejos sin choques y sin reproche al fin por primera vez encuentra a quién hablar. Pero una sola y breve palabra se confía a los cantos rodados y a las conchillas, que se muestran muy conmovidas, y la ola expira profiriéndola; y todas las que la siguen expirarán también haciendo otro tanto, a veces quizá con fuerza algo mayor. Cada una por encima de la otra cuando llega a la orquesta se levanta un poco el cuello, se descubre, y da su nombre al destinatario. Mil señores homónimos son así admitidos el mismo día a la presentación por el mar prolijo y prolífico en ofrecimientos labiales a cada orilla.

Así también en vuestro foro, oh cantos rodados, no es, para una grosera arenga, algún villano del Danubio el que vie­ne a hacerse oír: sino el Danubio mismo, mezclado con todos los otros ríos del mundo después que han perdido su sentido y su pretensión y están profundamente reservados en una des­ilusión amarga sólo al gusto de quien se cuidara mucho de apreciar por absorción su cualidad más secreta, el sabor.

Porque es, en efecto, después de la anarquía de los ríos, a su abandono en el profundo y copiosamente habitado lugar común de la materia líquida a lo que se ha dado el nombre de mar. De ahí que éste parecerá aun a sus pro­pias orillas siempre ausente: aprovechando el alejamiento recíproco que les impide comunicarse entre sí como no sea a través de él o por grandes rodeos, hace creer sin duda a cada una que se dirige espcialmente hacia ella. En reali­dad, cortés con todo el mundo, y más que cortés: capaz para cada cual de todos los arrebatos, de todas las convic­ciones sucesivas, conserva en el fondo de su permanente tazón su posesión infinita de corrientes. Sale apenas de sus bordes, por sí mismo pone freno al furor de sus olas y, como la medusa que él abandona a los pescadores como imagen reducida o muestra de sí propio, se limita a hacer una reverencia extática por todas sus orillas.

Eso es lo que ocurre con la antigua vestidura de Neptuno, amontonamiento pseudo-orgánico de velos unidamente extendidos sobre las tres cuartas partes del mundo. Ni el cie­go puñal de las rocas, ni la más perforadora de las tormentas que hacen girar atados de hojas al mismo tiempo, ni el ojo atento del hombre usado con dificultad y por lo demás sin control en un medio inaccesible a los orificios destapados de los otros sentidos y trastornado más todavía por un brazo que se hunde para agarrar, han leído ese libro.

JORGE LUIS BORGES
(Sur, Buenos Aires, Año XVI, N° 147-148-149, enero, febrero, marzo de 1947.)