martes, 9 de octubre de 2012

Guillaume Apollinaire: El Róbinson de la estación Saint-Lazare


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LE ROBINSON DE LA GARE SAINT-LAZARE

On pense généralement que les Anglais sont les gens les plus flegmatiques du monde. C'est une erreur et l'histoire authentique suivante dont on n'a point parlé bien qu'elle soit extraordinaire, montre assez que certains Français et même des Parisiens rendraient des points aux insulaires les plus froids.


*

Le 1er janvier 1907, à dix heures du matin, M. Ludovic Pandevin, riche négociant du Sentier et dont la demeure opulente est située avenu du Bois-de-Boulogne, prenait un fiacre, place de l'Étoile.

« À la gare Saint-Lazare, grandes lignes, dit-il au cocher, et un peu vite, je dois prendre le train du Havre. »



M. Pandevin allait à New York pour affaires et n'emportait qu'une petite valise. L'heure pressait et le fiacre arriva à la gare quelques minutes à peine avant le temps indiqué sur l'horaire pour le départ du train.

M. Pandevin tendit au cocher un billet de mille francs mais l'automédon n'avait pas de monnaie.

« Attendez-moi, dit le négociant, donnez-moi votre numéro, je vais revenir. »



Il laissa sa valise dans la voiture et alla prendre son billet. Mais voyant alors qu'il s'en fallait d'une minute que le temps indiqué sur l'horaire pour le départ du train fût accompli, M. Pandevin pensa:

« Ce cocher a ma valise et des papiers qui après tout ne me sont pas indispensables. Il attendra, trouvera mon adresse sur la valise et se fera payer chez moi. »

Et il s'en fut prendre son train qui ne partit que deux heures plus tard car il y a belle lurette que les horaires ne sont plus respectés. Au Havre, il prit le bateau pour l'Amérique et ne pensa plus au cocher.


*

Celui-ci attendit patiemment son client et se dit au bout de vingt minutes:
« Ce n'est plus à la course, c'est à l'heure. »



Puis il se remit à attendre philosophiquement.

À midi, il se fit apporter à déjeuner par un camelot, descendit pour manger, et de crainte que l'on n'emportât la valise, la serra dans son coffre sous le siège. Le soir, il dîna comme il avait déjeuné, donna le picotin à son cheval et continua d'attendre jusqu'au dernier train, après minuit.

Alors il secoua les rênes sur Cocotte et sortit de la cour du Havre sans témoigner d'humeur ni d'impatience.

Il s'arrêta devant le chantier du Nord-Sud qui s'élevait à cette époque devant la gare Saint-Lazare, descendit de son siège et ouvrit la porte de cette singulière construction de bois que les Parisiens ont admirée pendant de longues années et dont les nombreuses répliques ornent encore certains points privilégiés de la capitale. Prenant son cheval par la bride, le cocher dont je parle et duquel il est juste que la postérité connaisse le nom, Évariste Roudiol, propriétaire d'un hongre et de la voiture de place n° 20364, remisa le tout dans le chantier couvert qui somme toute constituait une demeure assez confortable et située en plein centre de Paris. Il y avait là de la paille dont il fit litière pour son cheval qu'il détela et lui-même dormit commodément dans la voiture, bien enveloppé de couvertures, quoique la nuit malgré la saison ne fût pas trop froide.

À cinq heures, il fut sur pied, battit la semelle, agita ses bras horizontalement et vigoureusement pour se réchauffer, attela, et laissa l'équipage dans le chantier couvert, car un fiacre ne peut entrer dans la cour du Havre s'il n'a point de voyageur.

Et le cocher Évariste Roudiol fut se poster à l'entrée de la gare, à l'endroit même où son client l'avait quitté la veille. Vers sept heures, il alla prendre un café au bistrot qui se trouve dans la cour du Havre, il écrivit à sa femme un bleu qu'il fit porter à la poste par un garçon et fut se remettre en observation.

Vers midi, Mme Roudiol fit apporter à son mari un ameublement sommaire, avec de la paille, du foin et de l'avoine pour le cheval qui semblait fort heureux de ses nouveaux loisirs. Il est vrai que ces allées et venues parurent insolites aux passants. Ils n'avaient jamais vu aucun ouvrier dans le chantier. La police, cependant, trouva que le tout était naturel et que, sans doute, on avait installé là un gardien pour empêcher les sabotages d'une part, et, de l'autre, tout travail intempestif aussi bien qu'inusité.


*

Et une vie délicieuse commença pour l'homme et pour le cheval qui prenait de l'embonpoint, tandis que Roudiol fumait la pipe tout le jour en surveillant l'arrivée des voyageurs.

Puis, ce furent les beaux jours, Mme Roudiol vint tenir compagnie à son mari, qu'elle quitta vers le milieu de l'automne quand la bise fut venue...


*

Des années passèrent sans que rien interrompit la vie paisible que menaient l'homme et la bête, singuliers Robinsons d'un des quartiers les plus animés de Paris.

De temps à autre, pour donner un peu d'exercices à Cocotte, le cocher priait un passant de monter dans la voiture afin de pénétrer dans la cour du Havre. Là, le hongre trottait un peu, sans que Roudiol perdît de vue la sortie de la gare. Et avant de se coucher, de sa grosse écriture appliquée, il inscrivait, chaque soir, quelques chiffres sur un vieux carnet crasseux et gauchi.


*

Le 1er janvier 1910, Roudiol, debout à quatre heures du matin, pansa son cheval, l'attela, et, vers huit heures, voyant que le temps était beau, se dit qu'il fallait en profiter.

Il fit monter un camelot dans la voiture et entra dans la cour du Havre où après quelques évolutions il alla se placer près de la sortie des grandes lignes...
À neuf heures, un monsieur parut et s'arrêta comme pour chercher quelqu'un. Mais le cocher avait reconnu son client:

« Voilà, bourgeois! lui cria-t-il en sautant à bas de son siège.

—C'est vous ? dit M. Pandevin, attendez ! »

Et il tira son portefeuille où il prit un bulletin.

« Cinquante-six mille trois cent vingt-deux francs, répondit le cocher, et vingt-cinq centimes pour le colis. »


M. Pandevin vérifia le calcul: trois ans moins une heure à deux francs cinquante l'heure, tarif de jour, et, deux francs cinquante l'heure, tarif de nuit, en modifiant les totaux quotidiens selon les horaires d'hiver où d'été et sans oublier d'ajouter une journée pour l'année bissextile 1908.

“C'est juste, observa M. Pandevin, voilà votre dû.” Et il lui donna 56 322,50 F, car il comptait vingt-cinq centimes pour le pourboire.

Roudiol serra le tout dans son grand porte-monnaie.


*

« Maintenant, chez moi! » dit M. Pandevin, qui après avoir donné son adresse, monta dans la voiture.

Et quand ils furent arrivés à destination, il donna au cocher un franc soixante-cinq pour la course.


GUILLAUME APOLLINAIRE


EL RÓBINSON DE LA ESTACIÓN SAINT-LAZARE

Generalmente se piensa que los ingleses son las personas más flemáticas del mundo. Esto es un error, y la historia auténtica que sigue, de la que no se ha hablado pese a que es extraordinaria, muestra bastante bien que ciertos franceses, e incluso algunos parisinos, les sacarían ventaja a los más fríos insulares.


*


El 1 de enero de 1907, a las diez de la mañana, el señor Ludovic Pandevin, rico comerciante del barrio del Sentier cuya opulenta residencia está situada en la Avenue du Bois-de-Boulogne, subió a un coche de plaza en la Place de l'Étoile.
—A la estación Saint-Lazare, trenes de larga distancia —le dijo al cochero—, y bastante rápido, tengo que tomar el tren para Le Havre.


El señor Pandevin iba a Nueva York por negocios y sólo llevaba con él una pequeña maleta. Tenía el tiempo justo y el coche llegó a la estación apenas unos minutos antes de la hora indicada en el horario para la salida del tren.
El señor Pandevin le extendió al cochero un billete de mil francos, pero éste no tenía cambio.

—Espéreme —dijo el comerciante—, déme su número, ya vuelvo.



Dejó la maleta en el coche y fue a sacar pasaje. Pero al ver, entonces, que faltaba un minuto para la hora que indicaba el horario para la salida del tren, el señor Pandevin pensó: “El cochero tiene mi maleta y algunos papeles que, después de todo, no me resultan indispensables. Esperará, encontrará mi dirección en la maleta e irá a cobrar a mi casa.” Y se fue a tomar el tren, que sólo salió dos horas más tarde, porque hace un buen rato que ya no se respetan los horarios. En Le Havre tomó el barco para América del Norte y ya no pensó más en el cochero.


*

Éste esperó pacientemente a su cliente y al cabo de veinte minutos se dijo:
“Ya no es por trayecto recorrido sino por hora.”


Luego volvió a esperar filosóficamente.

A mediodía hizo que un vendedor ambulante le trajese el almuerzo, bajó para comer, y temiendo que alguien se llevase la maleta la guardó en el baúl, debajo del asiento.

Por la noche cenó del mismo modo en que había almorzado, le dio el pienso al caballo y siguió esperando hasta el último tren, pasada la medianoche.

Entonces le sacudió las riendas a Cocotte y salió de la explanada del Havre sin mostrar ni mal humor ni impaciencia.

Se detuvo delante del galpón perteneciente a las obras de la línea Norte-Sur del metro que, en esos tiempos, se alzaba delante de la estación Saint-Lazare, bajó del asiento y abrió la puerta de aquella singular construcción de madera que los parisinos admiraron por largos años y cuyas muchas réplicas adornan todavía algunos puntos privilegiados de la capital. Asiendo al animal de la brida, el cochero de quien hablo y cuyo nombre es justo que sea conocido por la posteridad, Évariste Roudiol, dueño de un caballo castrado y del coche n° 20.364 , encerró a ambos en el galpón, que, después de todo, constituía una vivienda bastante cómoda y situada en pleno centro de París. Allí había paja con la que hizo una cama para su caballo, al que desenganchó, y él mismo durmió cómodamente en el coche, bien envuelto en mantas, aunque la noche, a pesar de la época del año, no era demasiado fría.

A los cinco ya estaba levantado, dio unas patadas en el suelo y agitó los brazos horizontalmente y con vigor para entrar en calor, enganchó el caballo y lo dejó en el galpón, ya que un coche de plaza no puede entrar en la explanada del Havre si no lleva pasajeros.

Y el cochero Évariste Roudiol fue a apostarse a la entrada de la estación, en el mismo lugar en que su cliente se había separado de él el día anterior. A eso de las siete fue a tomar un café al bar que se encuentra en la explanada, le escribió a su mujer un telegrama que envió al correo con un chico y volvió a su puesto de observación.

Hacia el mediodía la señora de Roudiol le hizo llegar a su marido un mobiliario somero, que incluía paja, heno y avena para el caballo, que parecía enormemente feliz con sus nuevos ocios. Es cierto que aquellas idas y venidas les parecieron insólitas a los transeúntes. Nunca habían visto a ningún obrero en el galpón. La policía, sin embargo, consideró que todo aquello era natural y que, posiblemente, habían puesto allí a un cuidador para impedir, por un lado, los sabotajes y, por el otro, cualquier tipo de trabajo que fuese tan intempestivo como inusitado.


*

Y comenzó una vida deliciosa para el hombre y el caballo, que iba engordando mientras Roudiol fumaba en pipa todo el día sin dejar de vigilar la llegada de los pasajeros.

Luego, con el buen tiempo, la señora de Roudiol fue a hacerle compañía a su marido hasta mediados del otoño, cuando empezó a soplar el cierzo...


*

Pasaron años sin que nada interrumpiese la vida apacible que llevaban el hombre y el animal, singulares Robinsones de uno de los barrios más animados de París.

De cuando en cuando, para que Cocotte hiciese un poco de ejercicio, el cochero le rogaba a un transeúnte que subiese en el coche, para poder entrar en la explanada del Havre. Allí el caballo trotaba un poco, sin que Roudiol perdiese de vista la salida de la estación. Y antes de acostarse, con su tosca letra esforzada, anotaba, cada noche, algunas cifras en un viejo cuaderno mugriento y estropeado.


*

El 1 de enero de 1910, Roudiol, ya en pie a las cuatro de la mañana, cepilló el caballo, lo enganchó y, a eso de las ocho, viendo que hacía buen tiempo, se dijo que había que aprovecharlo.

Hizo subir al coche a un vendedor ambulante y entró en la explanada del Havre, donde, después de dar unas vueltas, fue a instalarse cerca de la salida de los trenes de larga distancia...

A las nueve apareció un señor que se detuvo como si estuviese buscando a alguien. Pero el cochero ya había reconocido a su cliente.

—¡Por fin, caballero! —le gritó bajando de un salto del asiento.

—¿Es usted? —dijo el señor Pandevin—, ¡espere!

Y sacó la billetera, de la que extrajo un papel.

—Así es —dijo—, 20.364. ¿Cuánto le debo?

—Cincuenta y seis mil trescientos veintidós francos —respondió el cochero—, y veinticinco céntimos por el bulto.


El señor Pandevin revisó la cuenta: tres francos menos una hora, a dos francos por hora, tarifa diurna, y dos francos con cincuenta, tarifa nocturna, modificando los totales diarios según los horarios de invierno o de verano, y sin olvidarse de agregar un día por el año bisiesto de 1908.


—Está bien —señaló el señor Pandevin—, aquí tiene lo que le debo.
Y le dio 56.322,50 francos, incluyendo veinticinco céntimos de propina.
Roudiol guardó todo en su gran portamonedas.


*

—Ahora, ¡lléveme a casa! —dijo el señor Pandevin, que, después de dar su dirección, subió al coche.

Y, al llegar a destino, le dio al cochero un franco con setenta y cinco por el viaje.

Traducción de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán