miércoles, 14 de noviembre de 2012

Samuel Beckett: Carta a Michel Polac, enero de 1952



LETTRE À MICHEL POLAC (janvier 1952)

Vous me demandez mes idées sur “En attendant Godot” dont vous me faites l'honneur de donner des extraits au Club d'Essai et en même temps mes idées sur le théâtre.
Je n’ai pas d’idées sur le théâtre. Je n’y connais rien. Je n’y vais pas. C’est admissible.
Ce qui l’est sans doute moins, c’est d’abord, dans ces conditions, d’écrire une pièce, et ensuite, l’ayant fait, de ne pas avoir d’idées sur elle non plus.
C’est malheureusement mon cas.
Il n’est pas donné à tous de pouvoir passer du monde qui s’ouvre sous la page à celui des profits et pertes, en retour, imperturbable, comme entre le turbin et le Café du Commerce.
Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à lire avec attention.
Je ne sais pas dans quel esprit je l’ai écrite.
Je ne sais pas plus sur les personnages que ce qu’ils disent, ce qu’ils font et ce qui leur arrive. De leur aspect j’ai dû indiquer le peu que j’ai pu entrevoir. Les chapeaux melon par exemple.
Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s’il existe. Et je ne sais pas s’ils y croient ou non, les deux qui l’attendent.
Les deux autres qui passent vers la fin de chacun des deux actes, ça doit être pour rompre la monotonie.
Tout ce que j’ai pu savoir, je l’ai montré. Ce n’est pas beaucoup. Mais ça me suffit, et largement. Je dirai même que je me serais contenté de moins.
Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les esquimaux, je suis incapable d’en voir l’intérêt. Mais ce doit être possible.
Je n’y suis plus et je n’y serai plus jamais. Estragon, Vladimir, Pozzo, Lucky, leur temps et leur espace, je n’ai pu les connaître un peu que très loin du besoin de comprendre. Ils vous doivent des comptes peut-être. Qu’ils se débrouillent. Sans moi. Eux et moi nous sommes quittes.


CARTA A MICHEL POLAC (enero de 1952)

Usted me pregunta cuáles son mis ideas sobre “Esperando a Godot”, algunos fragmentos del cual me hace el honor de representar en el Club d’Essai, y al mismo tiempo mis ideas sobre el teatro.
No tengo ideas sobre el teatro. No entiendo nada de eso. No voy al teatro. Es algo admisible.
Lo que quizás lo sea menos es, en primer lugar, en esas condiciones, escribir una obra y luego, después de hacerla, tampoco tener ideas sobre ella.
Desgraciadamente, ése es mi caso.
No todos tienen la posibilidad de poder pasar del mundo que se abre debajo de la página al de las ganancias y las pérdidas, de regreso, imperturbable, como entre el trabajo y las charlas de café.
No sé más sobre esta obra que aquél que logra leerla con atención.
No sé cuál fue mi intención al escribirla.
No sé más sobre los personajes que lo que dicen, lo que hacen y lo que les pasa. Acerca de su aspecto, he debido indicar lo poco que pude entrever. Los sombreros hongo, por ejemplo.
No sé quién es Godot. Ni siquiera sé, sobre todo, si existe. Y no sé si los dos que lo esperan creen en él o no.
Los otros dos, que pasan hacia el final de cada uno de los actos, deben estar ahí para romper la monotonía.
Todo lo que pude saber, lo mostré. No es gran cosa. Pero eso me basta, y mucho. Incluso diré que me hubiera conformado con menos.
En cuanto querer encontrarle a todo eso un sentido más amplio y más elevado, que uno se pueda llevar después del espectáculo junto con el programa y los palitos helados, soy incapaz qué interés puede tener. Pero debe de ser posible.
Ya no estoy allí y ya nunca estaré allí. Sólo pude conocer un poco a Estragon, Wladimir, Pozzo, Lucky, su tiempo y su espacio, estando muy lejos de la necesidad de comprender. Quizás tengan que rendirle cuentas a usted. Que se las arreglen. Sin mí. Ellos y yo estamos a mano.