martes, 21 de octubre de 2014

Arthur Rimbaud y Mauricio Bacarisse





LE BATEAU IVRE

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

ARTHUR RIMBAUD




EL BARCO EBRIO


Yo sentí al descender los impasibles Ríos
que ya no me sirgaban mis conductores rudos;
de blanco a pieles-rojas chillones y bravíos
sirvieron en los postes, clavados y desnudos.

Por las tripulaciones nunca tuve interés
y cuando terminó la cruel algarabía,
a mí, barco de trigo y de algodón inglés,
me dejaron los Ríos ir adonde quería.

Bogué en un cabrilleante furor de marejadas
más sordo e insensible que meollo de infantes
y las viejas Penínsulas por el mar desgajadas
no han sufrido vaivenes más recios y triunfantes.

La tempestad bendijo mi despertar marino.
Diez noches he bailado más leve que un tapón
sobre olas que a las víctimas abrían el camino,
sin lamentar la necia mirada de un farón.

Cual para el niño poma modorra, regodeo
fue para el agua verde este casco de pino;
dispersando el timón y perdiendo el arpeo
me lavó de inmundicias y de manchas de vino.

Desde entonces me baña el poema del mar
lactascente, infundido de astros; muchas veces,
devorando lo azul, en él se ve pasar
un pensativo ahogado de turbias palideces.

Algo tiñe la azul inmensidad y delira
en ritmos lentos, bajo el diurno resplandor.
Más fuerte que el alcohol, más vasta que una lira
fermenta la amargura de las pecas de amor.

He visto las resacas, la tormenta sonora,
las corrientes, las mangas -y de todo sé el nombre-;
cual vuelo de palomas a la exaltada aurora,
y alguna vez he visto lo que cree ver el hombre.

Yo he visto al sol manchado de místicos horrores,
alumbrando cuajados violáceos sedimentos.
Cual en dramas remotos los reflujos actores
lanzaban en un vuelo sus estremecimientos.

Soñé en la noche verde de espuma y nieve ahíta
-en los ojos del mar, lentos besos de amor-
y en la circulación de la savia inaudita
que arrastra áureo y azul, al fósforo cantor.

Asaltando arrecifes, un mes tras otro mes,
seguí a la marejada histérica y vesánica,
sin creer que las Marías con sus fúlgidos pies
cortaran el resuello a la jeta oceánica.

¡No sabéis... ! Dí con muchas increíbles Floridas,
con ojos de panteras y con pieles humanas
mezclábanse arcos-iris, tendidos como bridas,
al rebaño marino de las verdosas lanas.

He visto fermentar las enormes lagunas
en cuyas espadañas se pudre un Leviathán
y he visto, con bonanza, desplomándose algunas
cataratas remotas que a los abismos van...

Vi el sol de plata, el nácar del mar, el cielo ardiente,
horrores encallados en las pardas bahías
y mucha retorcida y gigante serpiente
cayendo de los árboles, con fragancias sombrías.

Quisiera yo enseñar a un niño esas doradas
de la onda azul. pescados cantores, rutilantes...
Me bandijo la espuma al salir de las radas
y el inefable viento me elevó por instantes...

Fui mártir de los polos y las zonas hastiado,
el sollozo del mar dulcificó mi arfada;
con flores amarillas ventosas fui obsequiado,
y me quedé como una mujer arrodillada.

Igual que una península llevaba las disputas
y el fimo de chillonas aves de ojos melados,
y mientras yo bogaba, de entre jarcias enjutas
bajaban a dormir, de espaldas, los ahogados.

Y yo, barco perdido entre la cabellera
de ensenadas, al éter echado por la racha,
no merecí el remolque de anseáticas veleras
ni de los monitores, nave de agua borracha.

Humeante, libre, ornado de neblinas violetas
segué el cielo rojizo con brío de segur
llevando -almíbar grato a los buenos poetas-
mis líquenes de sol y mis mocos de azur.

Las lúnulas eléctricas me fueron recubriendo,
almadía, escoltada por negros hipocampos.
Las ardientes canículas golpearon abatiendo
en trombas, a los cielos de ultramarinos lampos.

Yo que temblé al oír a través latitudes
el rugir de los Behemots y los Maelstroms en celo,
eterno navegante de azuladas quietudes,
por los muelles de Europa ahora estoy sin consuelo.

Yo vi los archipiélagos siderales que el hondo
y delirante cielo abren al bogador.
¿Te recoges tú y duermes en las noches sin fondo,
millón de aves de oro, venidero Vigor?

El acre amor me ha henchido de embriagador letargo.
Lloré mucho. Las albas son siempre lacerantes.
Toda luna es atroz y todo sol amargo.
¡Que se rompa mi quilla y vaya al mar cuanto antes!

Si yo ansío algún agua de Europa es la del charco
negro y frío en el cual, al caer la tarde rosa,
en cuclillas y triste, un niño suelta un barco
endeble y delicado como una mariposa.

Ya nunca más podré, olas acariciantes,
aventajar a otros transportes de algodón,
ni cruzando el orgullo de banderas flameantes
nadar junto a los ojos horribles de un pontón.


MAURICIO BACARISSE